Mème
Dans le Libération du jeudi 30 mai 2013, un petit article, reproduit ici avec respect, et lisible sur le site de Libé, annonce que le mot « mème » fera son entrée dans le dictionnaire, ainsi que d’autres mots apparentés à l’univers du web 2.0, comme un hashtag, un post ou l’action de googler (verbe transitif).
Excellente nouvelle que ce signe canonique d’acceptation d’un concept nouveau par notre langue, mais on peut néanmoins se poser quelques questions :
Quelle sera la définition du mot mème dans le Larousse ? Son attachement à l’univers du web laisse-t-il présager son confinement dans une sphère légitime, un parc « de son âge », en lui interdisant l’accès aux sciences humaines « pour les grandes personnes » que sont la sociologie et l’anthroplogie ? La définition d’un mème permettra-t-elle ensuite la définition de la mémétique, qui commence à s’affirmer comme une sorte de « version naturaliste de la sociologie des tendances » ?
En attendant…
La définition donnée par la Société Francophone de Mémétique est :
« n.m. Élément de code culturel reconnaissable et reproductible »
Stricto sensu, un mème est l’équivalent d’un gène pour une solution culturelle, c’est-à-dire le morceau de signification qui permet de dire qu’une certaine façon de faire se reproduit. Par exemple, le fait de manger avec une fourchette ou avec des baquettes se distingue par ce simple code culturel « fourchette ou baguettes ». Je ne peux manger avec des baguettes que parce que j’ai déjà vu quelqu’un le faire devant moi. Manger avec des baguettes est une solution. L’écologie à laquelle la mémétique offre une grille de lecture pertinente est celles des solutions.
Il ne s’agit donc pas, en tout cas pas seulement, comme on peut le lire parfois, de contenus humoristiques auto-répliquants qui se fabriquent sur l’internet. Cette définition erronée – raccourci de l’anglais Internet memes qui recouvre un écosystème global – est le fruit d’une paresse intellectuelle propre à certains médias. Ce n’est pas la faute des journalistes mais tout simplement le signe que la culture est elle-même une réalité aussi incontrôlable que le vivant.
Septembre 2013. l’édition 2014 du dictionnaire Larousse illustré donne enfin une définition au mot « mème ». Malheureusement, celle-ci tombe clairement dans le piège tant redouté. Il faut l’accepter car une des principe d’évolution de la langue est d’être gouverné par les usages, dont l’emploi par la littérature. Mais l’usage doit être indépendant des sources. Si les experts sont en train d’ergoter sur une définition, alors que le grand public, lui, semble d’accord sur une autre, que faire ?
Le phénomène est simple, bien que peu fréquent : un nom sans objets a rencontré un objet sans nom, dans le bouillonnement culturel du web auquel ils étaient tout les deux apparentés. Richard Dawkins l’exprime subtilement par cette formule : « the very idea of the meme has itself mutated » (l’idée même du mème a elle-même muté…)
Le fait de centrer les approches évolutionnistes de la culture sur le mème, c’est-à-dire sur le « réplicateur égoiste » en oubliant l’importance fondamentale du phénotype qui caractérise les pratiques, la seule réalité à laquelle nous pouvons accéder par nos sens, est fréquemment contestée par des chercheurs, dont nous faisons partie. Voir à ce sujet un article publié dans la revue Hérmès N°67 : La mémétique, une science à l’état sauvage, accessible dans Cairn info.