ADN des organisations
C’est évidemment une métaphore quand on emploie le terme ADN, qui appartient à la biologie moléculaire. Ce mot dérange, inquiète ou fascine. Il a donc forcément un côté « marketing » qui finira par lasser. Mais on l’emploie surtout parce qu’il est parlant pour beaucoup de gens : il évoque à la fois la transmission de la mémoire accumulée, la puissance vitale et, aussi, le penchant naturel qui s’impose parfois, comme résistance aux choix dictés par le calcul.
Métaphore, oui. Malgré tout, n’oublions pas, en ces temps où complexité et surabondance de données paralysent la logique, que les métaphores ont toujours été des accès aux réel bien plus directs que des rationalités et des savoirs épars, isolés au noms de leur propre cohérence. L’important n’est donc pas « métaphore ou réalité », mais métaphore ouvrant une voie pour l’intelligence collective, ou pas. Nous n’évoquerons pas ici la notion d’ADN des marques, même si on ne peut pas la séparer complètement de l’ADN organisationnel.
L’ADN des organisations est une métaphore très puissante, qui pose de vraies questions. Elle pose indirectement, sinon franchement, la question de l’appartenance des organisations à la sphère du vivant – ce qui ne veut pas dire que l’on remplace les sciences humaines par les sciences naturelles, comme beaucoup de sociologues le craignent encore… Disons simplement que le discours sur l’entreprise vivante fait vaciller le paradigme mécaniste et procédurier. Nous nous trouvons actuellement, dans les pays historiquement industrialisés, à un point de bascule comme il est possible d’en concevoir grâce à des théories comme celle de Clare Graves, malheureusement trop mal connue (pour avoir été soustraite au champ académique par une série d’appropriations commerciales).
Mais surtout, cette métaphore pose à tort, pour chaque organisation, la question de l’adaptation et de la survie. Elle renvoie à cette inquiétude : sommes-nous capables, en tant qu’organisme, de faire face à un monde « plus rude » ? En avons-nous le temps ? Ou bien sommes-nous comme un hippopotame qui doit traverser le précipice sur un fil ? Pourquoi à tort ? parce que l’adaptation d’une organisation n’est pas l’adaptation d’une espèce. Alors qu’est-ce qui s’adapte ?
C’est là qu’on a besoin d’une certaine rigueur de méméticien ! Derrière le fantasme de l’ADN se dissimule un code mémétique implicite et partagé, qui s’exprime dans les pratiques habituelles au sein d’une communauté donnée, et que l’on n’a pas forcément besoin de voir. Les « codes » sont portés et mis en œuvre à travers chaque pratique, chaque solution trouvée au quotidien et non par un gros organisme unique. Ce sont elles qui vivent et meurent, laissant de bons souvenirs ou de mauvais. Lorsqu’on abandonne une façon de faire au profit d’une autre, c’est comme si une espèce s’éteignait alors qu’une autre se développe. Il faut plutôt voir l’entreprise comme un écosystème de petits gestes, chacun répondant à des codes qui, tous ensemble, forment une sorte de pool mémétique, une enveloppe qu’improprement on nomme « culture d’entreprise » bien que cela recouvre des fonctionnements implicites quasi organiques qui sont souvent en-deçà de la culture au sens européen du terme. Le bénéfice de cette approche est que l’on peut décrire très finement certains aspects de la pratique habituelle commune, et rendre les collaborateurs conscients de ce qui les fait agir. Si par ailleurs, ils sont conscients de la situation et du projet de leur entité, il leur est plus naturel de participer au projet en inventant de nouvelles voies.
Il en est question également… (il y a dix ans) dans cet article du blog « Le Cercle des Echos »
Ces questions sont parallèlement creusées dans le cadre d’une démarche plus académique.